La cartographie du cerveau humain est aujourd’hui encore un processus compliqué. Plus d’un siècle après ses premières avancées, beaucoup de mystères subsistent, par exemple comment peut-on identifier précisément le rôle de chaque surface du cortex visuel dans le processus de la vision par le biais de ‘’cartes visuelles’’ ? C’est pour résoudre ce problème qu’est née la collaboration entre l’Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives (INCI, CNRS/Unistra), le département de mathématiques de l’Université de Cambridge et le département de neurobiologie moléculaire du Salk Institute de San Diego. Les résultats de ces travaux, visant à modéliser la formation de ces cartes visuelles sont parus en mars 2017 dans la revue eLife.
Où en est aujourd’hui la cartographie cérébrale ?
Le premier modèle de carte cérébrale est établi en 1909 par le neurologue allemand Korbinian Brodmann qui détermine 52 aires du cortex en étudiant la morphologie des circonvolutions et des sillons du cerveau (cytoarchitectonie). Appelée Aires de Brodmann, cette cartographie est aujourd’hui encore utilisée de nos jours.
Au cours du siècle suivant, l’apparition de nouvelles technologies comme l’IRM fonctionnelle (IRMf) ou l’Electroencéphalographie (EEG) ont permis encore récemment d’identifier près de de 97 nouvelles zones cérébrales (pour un total actuel de 180 zones connues).
Toutefois, si ces méthodes ont permis de cartographier les « régions » cérébrales et de déterminer leurs principales fonctions (par exemple, on sait que le lobe occipital est chargé de traiter les informations visuelles), de nombreux processus comme la plasticité cérébrale compliquent la détermination du rôle exact de chacune de ces zones. Par ailleurs, pour continuer l’analogie avec la cartographie, même si les frontières ont été tracées, on ne sait encore rien de ce que chaque « pays » renferme exactement en son sein.
Déterminer la correspondance entre une zone rétinienne et une zone corticale.
L’équipe de Michael Reber cherchait à caractériser les mécanismes responsables de la formation des cartes rétinotopiques. Ces cartes sont des « motifs » spécifiant à quelle zone du cerveau les cellules ganglionnaires (des cellules rétiniennes présentes dans le nerf optique) doivent se connecter pour que l’image soit correctement transférée au cerveau puis traitée. Pour faire simple, si l’on regarde un objet situé dans la partie inférieure gauche de mon champ visuel, la carte rétinotopique permet alors d’identifier dans quelle partie du cortex visuel l’image sera traitée (car elle décrit où les cellules ganglionnaires ayant récupéré l’information de cette zone de la rétine devront la « projeter »).
En altérant des molécules d’éphrine-A3 sur des souris (« ligand » permettant la stabilisation de la structure des molécules membranaires de la rétine) pour les rediriger vers le colliculus supérieur (zone chargée du contrôle de l’attention visuelle), les scientifiques se sont rendu compte que l’alignement des cartes rétinotopiques était alors perturbé. En effet, une fois que les molécules d’éphrine modifiées sont présentes dans le colliculus et non plus dans la rétine, les projections se font alors dans l’aire corticale V1 (dédiée à la détection du contraste), empêchant une formation correcte de l’image car les informations n’étaient plus transmises dans les zones spécialisées.
Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’habituellement, la rétine et le cortex visuel sont alignés, le décalage ainsi créé par les scientifiques aurait été naturellement compensé en projetant les informations dans la zone V1 afin de pouvoir conserver l’alignement entre les cellules rétiniennes et le cortex.
Une fois ce mécanisme mis en évidence, les chercheurs ont ensuite réussi à le modéliser sous la forme d’un algorithme qui est capable de prédire la formation de ces cartes rétinotopiques dans le colliculus supérieur.
Vers une généralisation du mécanisme de formation ?
Finalement, ce mécanisme revêt une importance certaine pour l’établissement d’une cartographie cérébrale plus poussée. En effet, bien qu’étant encore confiné à une zone spécialisée du cerveau, il soulève un principe de correspondance entre les capteurs sensoriels et le cerveau qui est géométrique. Ce mécanisme pourrait donc devenir un principe de la cartographie plus général qui permettrait d’établir plus rapidement les correspondances entre les capteurs sensoriels et les zones du cerveau qui en sont responsables.
Tristan Boscarolo
Rédacteur ARISAL
Pour la Junior-Entreprise Physique Strasbourg Ingénierie
- En savoir plus sur l’Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives.
- L’étude complète de l’équipe de Michael Reber.