Un record de supraconductivité à température quasi ambiante

Un nouveau matériau composé de lanthane et d’hydrogène devient supraconducteur dès –13°C seulement, mais sous une pression énorme de 200 gigapascals.

Par Sean Bailly, 

À basse température, certains matériaux acquièrent des propriétés étonnantes. Une des plus connues est la supraconductivité : le courant électrique circule alors sans aucune résistance. Ce phénomène a de nombreuses applications. Des aimants formés de bobines de matériaux supraconducteurs sont ainsi utilisés dans certains dispositifs d’imagerie IRM ou dans les accélérateurs de particules comme le LHC. Il faut cependant refroidir ces matériaux à une température proche du zéro absolu avec de l’hélium liquide pour qu’ils deviennent supraconducteurs. Les physiciens sont donc en quête de supraconducteurs « à température ambiante », ce qui faciliterait considérablement leur utilisation. L’équipe de Maddury Somayazulu et Russell Hemley, de l’université George Washington, à Washington, vient de franchir une étape cruciale : ils ont observé des signes de supraconductivité dans un matériau nommé superhydrure de lanthane (LaH10) jusqu’à une température de 260 kelvins, soit seulement – 13,5 °C !

La quête de la supraconduction à température ambiante est quasi centenaire. En 1911, le physicien néerlandais Heike Kamerlingh Onnes a mis en évidence pour la première fois le phénomène de supraconductivité. Il fallut cependant attendre 1957 pour comprendre son origine. Les physiciens américains John Bardeen, Leon Cooper et John Schrieffer ont expliqué la supraconductivité à l’aide des phonons, les quanta de vibrations du matériau. Ces phonons simulent une attraction entre les électrons, qui forment alors des paires, dites « paires de Cooper », dont les propriétés quantiques leur permettent de circuler sans résistance dans le matériau.

Au regard de ce modèle, nommé théorie BCS, la supraconductivité semblait a priori difficile à réaliser à une température de plus de quelques kelvins : la force qui maintient les paires de Cooper est très faible, et dès que la température augmente, ces paires se dissocient et la supraconductivité disparaît. Or en 1986, Karl Müller et Johannes Bednorz, chercheurs chez IBM, ont mis en évidence la supraconductivité dans des matériaux céramiques à 35 kelvins (− 238 °C). De nombreuses équipes se sont inspirées de leurs travaux pour repousser toujours plus la limite : le record est de température de supraconduction est aujourd’hui établi à 133 K (– 140 °C). Toute cette  famille de supraconducteurs est dite non conventionnelle, car elle n’est pas expliquée par la théorie BCS.

Une autre piste pour gagner en température consiste à soumettre le matériau à une forte pression. En 2015, l’équipe de Mikhail Eremets, de l’institut Max-Planck de chimie, à Mayence, en Allemagne, a montré que le sulfure d’hydrogène, soumis à une pression de 150 gigapascals dans une cellule à enclume de diamant, devient un supraconducteur (de type conventionnel) jusqu’à – 70 °C.

Des modèles montrent en effet que les matériaux riches en hydrogène, soumis à de fortes pressions, sont susceptibles d’être supraconducteurs, potentiellement jusqu’à des températures ambiantes. Ces matériaux ont des fréquences de vibration très élevées, qui favorisent la supraconductivité. Lors de précédents travaux, Russell Hemley et ses collègues avaient étudié un mélange de lanthane et d’hydrogène dans une presse à 200 gigapascals. Ils ont formé du superhydrure de lanthane LaH10, structure qu’ils ont confirmé en utilisant une source synchrotron de rayons X.

Dans cette nouvelle expérience, les chercheurs ont utilisé une autre voie de synthèse du polyhydrure de lanthane, en partant de borazane (BH3NH3) comme source d’hydrogène. Le mélange est d’abord chauffé par un laser pour la synthèse. Les chercheurs ont ensuite suivi son refroidissement tout en contrôlant sa résistance électrique. Ils ont observé une chute de cette dernière à partir de 260 kelvins (– 13,5 °C) pour une pression de 188 gigapascals), signe de la supraconductivité. L’équipe de Mikhail Eremets a reproduit la même expérience et confirme le comportement exceptionnel du LaH10 mais avec une transition à – 23 °C, pour une pression de 170 GPa. La différence de pression dans les deux expériences entraînerait des variations dans la structure du superhydrure de lanthane synthétisé, ce qui expliquerait les températures limites différentes. Mais dans les deux cas, la température obtenue pulvérise le précédent record.

En l’espace de quelques décennies, la température record des supraconducteurs n’a cessé d’être améliorée. « Il s’agit d’une des nombreuses étapes dans la recherche de la supraconductivité à température ambiante avec des superhydrures et d’autres matériaux », commente Russell Hemley, « et dans le développement, à terme, de matériaux exhibant cette propriété, à plus basse pression, en vue d’applications pratiques. »

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